L’ère du financement participatif (Magazine Imagine)

4 septembre 2012 à 09:34

Article publié dans le magazine Imagine d’automne 2012.

Le financement participatif – crowdfunding, en anglais – est sur toutes les tribunes depuis l’explosion des sites comme Kickstarter aux États-Unis. Après les médias, la musique et les communications, est-ce que le financement des entreprises en démarrage sera le prochain secteur changé à jamais par l’Internet?

Le fonctionnement de Kickstarter est simple: une entreprise en démarrage qui souhaite obtenir du financement offre la possibilité aux Internautes de lui faire des dons, en échange d’un cadeau, souvent un produit qui sera plus tard mis en marché grâce au financement obtenu.

Un fonctionnement simple, certes, mais aussi efficace. Aux États-Unis, l’entreprise Pebble a notamment obtenu 10 millions $ de cette façon pour financer la création d’une montre intelligente.

Au Québec, le magazine Nouveau Projet a été le premier projet financé sur Kickstarter, en échange d’abonnements, de numéros gratuits et d’invitations à son party de lancement.

«J’avais exploré plusieurs sources de financement, et Kickstarter m’a semblé correspondre le mieux à nos besoins. C’était simple, et ça pouvait possiblement être payant», explique Nicolas Langelier, éditeur et rédacteur en chef du magazine qui a publié son premier numéro plus tôt cette année.

Son intuition a visiblement été juste, puisqu’il n’a fallu à Nouveau Projet que 24 heures pour atteindre son objectif de financement initial de 10 000$, et que le magazine a finalement amassé plus de 25 000$. «Ça a été fantastique pour l’argent, mais aussi pour la visibilité que ça nous a donné, notamment dans les médias», croit Nicolas Langelier.

«Si vous êtes une entreprise qui produit quelque chose pour les consommateurs, il s’agit d’un moyen de financement parfait. Il n’y a aucun véritable désavantage, mais les avantages, eux, sont nombreux», opine également Randy Smerik, un investisseur providentiel qui conseille souvent les entreprises en démarrage dans leur financement.

«Évidemment, ce ne sont pas toutes les compagnies qui devraient profiter du financement participatif. Celles qui ne touchent pas les consommateurs risquent par exemple de ne pas atteindre leur objectif. Si vous travaillez sur quelque chose de secret, en parler en public sur Internet avant que ce soit prêt n’est probablement pas une bonne idée non plus», ajoute Randy Smerik.

Le financement participatif au Québec
Les exemples québécois de financement participatif sont encore rares, notamment parce que la plateforme la plus importante de crowdfunding, Kickstarter, exige entre autres de détenir un compte bancaire américain pour s’inscrire. Heureusement, des alternatives locales existent, comme Haricot.ca et Fundo.ca, un site lancé cet été.

«L’idée de Fundo.ca est venue il y a plus d’un an et demi. J’ai beaucoup d’amis entrepreneurs pour qui le financement de leur entreprise a été très difficile, et le financement participatif m’apparaissait comme une belle opportunité, une façon de financer ses projets sans prendre de risque», se rappelle Maxime Lévesque, un des deux cofondateurs de Fundo.ca.

Il est bien sûr plus facile pour un Québécois de s’inscrire sur Fundo.ca que sur Kickstarter, mais selon Maxime Lévesque, sa plateforme offre aussi plusieurs autres avantages sur le géant américain.

«On offre une valeur ajoutée, soutient le cofondateur du site. On aide de près les entreprises qui collaborent avec nous, on les met en contact avec des ressources complémentaires, on les aide au niveau de la mise en marché, etc. On offre un service personnalisé que les gros joueurs ne pourraient pas offrir», explique-t-il.

Même si les projets présentés sur Fundo.ca proviennent tous du Québec pour l’instant, Maxime Lévesque avoue que sa compagnie a des visées plus grandes, et qu’elle aimerait bien éventuellement prendre de l’expansion dans le Canada anglais. «Un projet peut être bilingue, tout le monde gagne donc à ce qu’il y ait plus de trafic sur la plateforme provenant d’ailleurs au Canada», explique-t-il.

Le financement participatif d’équités: une révolution à venir?
Le financement participatif par cadeaux à la Kickstarter diffère du financement traditionnel de plusieurs façons, notamment parce qu’il est impossible d’obtenir un retour sur son investissement ou encore des parts dans l’entreprise financée.

Aux États-Unis, tout ceci devrait toutefois être changé dès l’année prochaine, grâce à l’adoption du JOBS Act au printemps dernier (Jumpstart Our Business Startups Act), qui devrait légaliser ce que certains appellent le financement participatif d’équités. Pour plusieurs, il s’agit d’une véritable révolution.

«Aux États-Unis, cela va changer toute l’industrie», affirme d’emblée Gil Michel-Garcia, un avocat spécialisé dans le financement des entreprises aux États-Unis chez la firme blue HF.

Pour lui, le financement des entreprises sera le prochain domaine bouleversé par l’arrivée d’Internet. «Une plateforme de financement participatif pourrait permettre de réunir les investisseurs et les jeunes entreprises directement, sans passer par les compagnies financières», explique-t-il.

Avec le financement participatif d’équités, il pourrait donc être plus facile de financer son entreprise, mais aussi plus facile pour monsieur et madame tout le monde d’investir dans des projets et des compagnies.

Tous les détails du financement participatif d’équités aux États-Unis n’ont pas encore été dévoilés. Pour l’instant, on sait notamment que les investissements maximaux devraient être limités (2000$ dans la plupart des cas), et que les plateformes de financement devront se soumettre à des règles strictes.

Le financement participatif d’équités au Canada
Au Canada, les lois entourant les valeurs mobilières sont provinciales, mais les différentes autorités du pays devraient proposer prochainement une législation harmonisée sur le sujet.

«Il y a des réflexions qui sont enclenchées au sein des Autorités canadiennes en valeurs mobilières. Les lois n’avaient pas prévu le financement participatif, nous voulons donc préciser ce qui est légal et ce qui ne l’est pas», explique Sylvain Théberge, porte parole de l’Autorité des marchés financiers.

Malheureusement pour les amateurs du concept, il semble que le financement participatif d’équités n’est pas prêt d’être légalisé de ce côté-ci de la frontière.

Si le financement participatif contre des cadeaux à la Kickstarter devrait être toléré, il en est en effet tout autrement du financement d’équités tel que proposé aux États-Unis. «Promettre un abonnement de six mois à un magazine, ou promettre des bénéfices monétaires contre un investissement, ce n’est pas la même chose», juge Sylvain Théberge.

«Le projet de loi américain ne nous convient pas en matière de protection des épargnants, nous allons donc probablement aller dans une autre direction», prévoit-il.

Dans tous les cas, le financement participatif, d’équités ou non, semble être là pour rester. Et si les projets financés de la sorte au Québec sont encore rares, de plus en plus d’entrepreneurs devraient se tourner à l’avenir vers l’Internet et leurs futurs consommateurs directement pour aller chercher l’argent dont ils ont besoin.