Le livre électronique au Québec

18 janvier 2010 à 09:56

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(texte paru dans le Magazine Jobboom, Janvier 2010)

Grâce à une première boutique en ligne grand public (jelis.ca) et un nouveau programme d’aide à la numérisation pour les éditeurs, le Québec entre finalement dans le monde des livres électroniques. Avec un certain retard, peut-être, mais avec beaucoup de bonnes intentions.

Depuis le mois d’août dernier, Janie Léonard-Labonté trimbale partout son lecteur de livres numériques Reader de Sony, un appareil dans lequel elle garde des centaines de bouquins et dont l’écran de la taille d’un livre de poche permet de lire aussi facilement que sur du papier. «Je préfère transporter un petit lecteur mince qu’une grosse brique de 700 pages, même si comme toutes les nouvelles technologies, ça attire les regards dans l’autobus!» explique cette étudiante de l’Université de Sherbrooke qui lit environ quatre romans par mois sur l’appareil.

Janie Léonard-Labonté pourrait cependant recommencer très bientôt à passer inaperçue dans les transports en commun. N’en déplaise aux réfractaires, qui arguent notamment que les bibliothèques ont plus de charme que les cartes mémoire, les adeptes des lecteurs de livres électroniques (aussi appelés liseuses) risquent de se multiplier au cours des prochains mois.

Car avec une grande autonomie (plus de 7 000 pages tournées pour une seule recharge) et un écran facile à lire à l’extérieur ainsi qu’à l’intérieur, les appareils comme le Kindle d’Amazon et le Reader de Sony (parmi les plus répandus) reproduisent assez fidèlement la lecture traditionnelle.

Même que les liseuses jouissent de plusieurs avantages sur le bon vieux livre : elles permettent d’agrandir le texte (caractéristique appréciée chez la clientèle plus âgée), de rechercher et de trouver des mots ou passages dans le livre et d’annoter le texte sans abîmer l’ouvrage. «En plus, je peux acheter des bouquins sans avoir à attendre la livraison», ajoute Janie Léonard-Labonté.

Selon les caractéristiques offertes (taille de l’écran, capacité de la mémoire, fonctions), les appareils se détaillent entre 275 $ et 500 $. Un prix encore un peu élevé, mais qui devrait baisser au cours des prochaines années (voir encadré).

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Livres à vendre

Si les liseuses suscitent un engouement aux États-Unis depuis la sortie du premier Kindle, en 2007, le Québec est entré dans la danse un peu tardivement avec le lancement de la première librairie en ligne d’ici, Jelis.ca, du groupe Archambault, en août dernier. Les nouveaux lecteurs Reader de Sony arrivaient sur le marché au même moment.

Jelis.ca offre environ 50 000 livres électroniques (contre 400 000 ouvrages au total dans le catalogue d’Archambault), principalement en format PDF, compatible avec tous les lecteurs sur le marché. Le procédé est simple : l’usager choisit un livre, paye avec une carte de crédit – quelques dollars de moins qu’un livre traditionnel – et transfère le fichier téléchargé sur sa liseuse.

À noter : au Québec, les fichiers ne sont pas protégés, et peuvent donc être copiés sur d’autres appareils, mais le nom de l’acheteur est généralement «tatoué» dans le PDF afin de décourager les pirates (qui pourraient facilement être identifiés).

Pour le moment, Amazon et Sony refusent de dévoiler leurs chiffres de ventes, tant au Québec qu’ailleurs dans le monde, ce qui rend la taille du marché du livre électronique difficile à estimer.

Même discrétion chez Archambault. «On en a vendu beaucoup plus qu’on pensait», se contente de dire Philippe Laperle, directeur, achats et mise en marché au secteur livres de la compagnie. Il ajoute que devant les titres offerts dans les deux formats (traditionnel et numérique), les consommateurs ont choisi l’option numérique dans 10 % des cas. Une statistique encourageante, mais qui confirme la marginalité du phénomène.

Rien ne sert de courir…
Jusqu’à maintenant, Jelis.ca offre peu de titres locaux. Normal : seulement 1 200 livres québécois ont été numérisés par les éditeurs d’ici. Une goutte d’eau dans un océan d’ouvrages français et de traductions américaines. Les titres québécois comptent quand même pour la moitié des ventes de Jelis.ca, précise Philippe Laperle.

Malgré les apparences, les éditeurs québécois sont loin de se tourner les pouces et prennent le livre numérique très au sérieux. Sauf que plusieurs inconnues les poussent à la prudence avant d’investir massivement dans la numérisation de leur catalogue. Quelle taille aura ce marché? Quel rôle conserveront les distributeurs? Quel sera le prix des livres à long terme, et comment l’argent sera-t-il redistribué entre les différents acteurs? Des questions qui restent pour le moment sans réponse.

«Je suis convaincu que le livre va connaître un nouvel essor grâce au numérique», avance Nicolas Langelier, conseiller pour l’environnement numérique chez Boréal, un éditeur qui n’a pas encore commencé à numériser ses livres. «Pour l’instant, l’engouement existe, mais le marché n’est pas encore là, alors rien ne presse. Nous déciderons de la stratégie à adopter lorsque la situation aura un peu évolué.»

À vos marques, scannez!

Si certains éditeurs jouent de prudence avant de se mouiller, d’autres croient au contraire à l’importance de profiter de la vague le plus rapidement possible avant d’être submergés par un raz de marée de littérature française.

Pour Gilles Herman, éditeur aux éditions du Septentrion et membre du comité sur la numérisation de l’Association nationale des éditeurs de livres, le livre numérique renferme un enjeu de taille : la promotion du livre québécois dans la francophonie.

«La présence du livre québécois en France aujourd’hui est anecdotique, explique-t-il. Avec le numérique, on a finalement une carte à jouer, puisque ça annule les coûts de transport qui nuisent à l’exportation […] La plupart des éditeurs québécois comprennent l’occasion qu’ils ont avec le livre électronique, ajoute-t-il, mais ce n’est pas facile de se lancer dans la numérisation, car ça demande une nouvelle expertise et, surtout, du temps et de l’argent.»

sodecUn peu d’aide
À l’heure actuelle, la numérisation et le traitement d’un seul livre coûtent entre 100 $ et 200 $. Pour aider les éditeurs à s’attaquer à leur catalogue, la Société de développement des entreprises culturelles (SODEC) a présenté l’automne dernier son nouveau programme d’aide à la numérisation, qui rembourse aux éditeurs 50 % de ces frais, plus 10 $ par titre, jusqu’à concurrence de 5 000 $ (assez pour aider à numériser de 45 à 85 livres environ). Pour le moment, le programme dispose d’une enveloppe budgétaire de 200 000 $.

Ce montant récurrent pourrait toutefois être revu à la hausse si nécessaire, estime Louis Dubé, responsable du secteur livres à la SODEC. «Une prise de conscience importante a été faite au gouvernement : si le Québec ne se positionne pas rapidement, il n’y aura tout simplement pas de livres québécois sur le marché numérique.»

Même si le budget du programme semble insuffisant aux yeux de Gilles Herman, il y voit du bon. «Ça pourrait motiver les nombreux éditeurs qui n’ont pas encore commencé leur effort de numérisation», juge-t-il.

Optimiste, il voit même en ce virage technologique une planche de salut pour l’industrie québécoise du livre, qui survit en partie grâce aux subventions gouvernementales. «Le livre numérique est moins cher à produire, on pourrait en profiter pour finalement mettre en place un mo­dèle de vente rentable au Québec», espère Gilles Herman.

Loin d’être le début de la fin pour le livre, l’ère numérique serait-elle plutôt le début d’un temps nouveau?

ENCADRÉ 1:
Ça arrivera près de chez vous…

livres

Au centre de recherche du fabricant de lecteurs de livres électroniques taïwanais Netronix, la responsable de produits Laura Wu présente des prototypes encore en pièces détachées des futurs appareils de sa compagnie.

«Vers le milieu de 2010, nous devrions offrir un lecteur muni d’un écran de 11,5 pouces de diagonale, confie-t-elle. Jusqu’à présent, les risques de bris étaient trop grands pour faire des appareils de cette taille, mais ces nouveaux écrans plus flexibles, et donc moins fragiles, le permettent», ajoute-t-elle en tordant l’écran d’un prototype.

Laura Wu prévoit aussi une baisse des prix des lecteurs, probablement d’ici 2011. «Pour l’instant, une seule compagnie fabrique tous les écrans de liseuses, peu importe la marque. Ce monopole est toutefois en train de s’effriter, ce qui rendra les appareils plus accessibles pour le grand public», explique-t-elle.

Autre nouveauté envisageable dans un futur rapproché? Les liseuses de la compagnie taïwanaise devraient un jour être en couleurs.

Cela dit, les prototypes d’écrans couleur vus par le Magazine Jobboom en marge du salon électronique Computex de Taipei l’été dernier étaient peu convaincants et rappellent pour le moment un papier journal couleur de mauvaise qualité. (Mise à jour: ceci pourrait bientôt changer…)

Selon les experts rencontrés, il faudra attendre encore plusieurs années avant de mettre la main sur des lecteurs offrant la qualité d’un beau livre couleur. Ces appareils, possiblement archiminces, devraient permettre la lecture de vidéos et ainsi d’afficher du contenu multimédia – incluant des publicités ciblées – pour les livres et les magazines de demain.

ENCADRÉ 2

Le micropaiement à la rescousse des magazines et des journaux

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Victimes des coûts de production élevés et de la chute des revenus publicitaires, les magazines et les journaux tombent comme des mouches. Les liseuses pourraient bien leur servir de bouées de sauvetage, estime l’hebdomadaire anglais The Economist.

Dans «An iTunes Moment», un éditorial paru en 2009, The Economist précise que le salut relèverait davantage de la mise en marché du contenu que de l’appareil lui-même. À l’image de la revitalisation de l’industrie du disque engendrée par iTunes et ses MP3 à 0,99 $ – plus que par le iPod en tant que tel –, une éventuelle boutique simple et efficace qui offrirait des magazines, des journaux et des articles à la pièce pourrait donner un nouveau souffle aux médias imprimés.

Amazon vend d’ailleurs déjà des abonnements à certains quotidiens américains pour son Kindle, ce qui représente une sérieuse économie de papier pour le New York Times et sa grosse édition dominicale!

«Les gens traitent les iPhone [et les Kindle] différemment des ordinateurs», juge The Economist. Ils acceptent plus facilement de payer pour un contenu facile d’accès sur un appareil électronique que sur Internet, où la gratuité est de rigueur.

Le Québec se prépare d’ailleurs pour ces petites transactions. Chez Transcontinental, qui édite entre autres Affaires PLUS et The Hockey News, on prévoit vendre un jour des articles à la pièce de cette façon. «Nous n’avons pas la prétention de développer nous-mêmes une plateforme de micropaiement, mais lorsqu’il y en aura une, nous allons y adhérer», confirme Stéphane Gagné, vice-président aux initiatives numériques pour les journaux et la distribution de la compagnie.

L’attente pourrait être de courte durée. Deux géants américains mettent au point leur système de micropaiement depuis plusieurs mois : Google, et surtout Apple, au moyen de sa plateforme iTunes et de ses millions d’usagers qui payent déjà pour de petites applications cellulaires et de la musique. Débourseriez-vous 50 sous pour lire cet article?