La ruée vers l’app

19 novembre 2009 à 16:40

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En plus de bonifier l’utilité des iPhone et autres BlackBerry de mille et une façons, les applications pour téléphones intelligents créent une nouvelle économie que certains comparent à une ruée vers l’or. Mais comme au Klondike, la richesse est loin d’être garantie.

Lorsqu’il brasse de la bière dans ses temps libres avec ses amis, Philipe D. Tarte calcule la température à laquelle il doit chauffer l’eau, la quantité de levures à utiliser, ainsi qu’une foule d’autres détails essentiels avec BrewPal, une petite application développée pour le iPhone.

«Je possède un logiciel qui permet de faire les mêmes calculs sur un ordinateur, mais c’est plus pratique de le faire directement sur place, au moment de brasser la bière», explique ce professeur de biologie qui enseigne dans un cégep de Montréal. Et pour la modique somme de 99 cents, pas la peine de s’en passer!

BrewPal est l’une des dizaines de milliers d’applications (aussi appelées apps) pour téléphones cellulaires développées au cours des dernières années. Petits logiciels simples et peu coûteux (ils se détaillent généralement de 99 cents à quelques dollars), ils sont télé­chargés et installés par les propriétaires de téléphones intelligents au gré de leurs besoins et envies.

Leurs utilités sont variées : certains tirent profit du GPS des appareils et permettent de chercher, par exemple, des critiques de restaurants ou d’hôtels à proximité. D’autres sont des adaptations pour la technologie mobile de logiciels existants (comme un éditeur de texte ou un logiciel de comptabilité). Beaucoup sont des jeux en tous genres. Et dans la catégorie «plus ou moins utile», on trouve une multitude d’applications qui permettent notamment d’émettre des sons de pets ou de faire semblant d’allumer un briquet.

L’heure de gloire

Bien qu’elles existent depuis un certain temps, ce n’est que depuis l’année dernière que les applications pour téléphones cellulaires connaissent un véritable engouement. «Avant, il s’agissait surtout de logiciels simples, comme des formulaires pour gérer ses stocks», rappelle Albert Dang Vu, président de Mirego, une firme de Québec qui développe des applications mobiles pour des entreprises canadiennes et américaines.

«Les téléphones sont maintenant plus performants et les applications se raffinent, elles deviennent visuellement attrayantes. Monsieur et madame Tout-le-monde peuvent enfin s’en servir», explique-t-il pour justifier leur soudaine popularité.

Déjà, un propriétaire de téléphone intelligent canadien sur quatre télécharge des applications 19 fois par année, selon un sondage réalisé pour Rogers Sans-fil en mai dernier. «Mais ça pourrait augmenter de 30 à 40 % annuellement, prévoit Jean Laporte, président de Rogers Sans-fil pour l’est du Canada. Pour le moment, les jeunes les utilisent davantage que les plus vieux. Mais d’ici trois ou quatre ans, la population en général adoptera cette façon d’utiliser son téléphone», poursuit-il.

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Si la puissance et la beauté des nouvelles applications contribuent à leur récent succès, elles ne sont pas les seules responsables. «L’autre raison, c’est l’App Store», précise Albert Dang Vu.

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Auparavant, les compagnies qui développaient des applications (différentes de celles qui créent les appareils) offraient leurs produits directement sur leur site, avec un mode de paiement, de téléchargement et d’installation propre à chacun. À l’été 2008, Apple a créé l’App Store, une boutique virtuelle qui rassemble toutes les applications compatibles avec ses appareils (le iPhone et le iPod Touch). La compagnie s’occupe de tout : paiement, téléchargement et installation automatique. Pour l’utilisateur, la recherche et l’achat de logiciels s’en trouvent grandement facilités.

Depuis le lancement de la boutique, Apple y a regroupé environ 100 000 apps et plus de 2 milliards de téléchargements ont été effectués. Un succès que tentent main­tenant de reproduire les autres joueurs de l’industrie, comme Palm, Nokia, Microsoft et Research In Motion (BlackBerry) en lançant leur propre boutique (App Catalog, Ovi Store, Marketplace et App Center).

La ruée vers l’or
En attendant, Apple engrange de gros revenus. Selon l’agence de publicité AdMob, la compagnie aurait vendu pour 198 millions de dollars US d’applications en août dernier seulement (70 % des revenus vont aux développeurs). Une manne qui attire les programmeurs de tout genre. «C’est vraiment une sorte de ruée vers l’or pour les développeurs d’applications. Mais comme lors de la vraie ruée vers l’or, ce n’est pas tout le monde qui trouve des pépites», juge André Lauzon, producteur exécutif du studio montréalais EA Mobile, qui dé­veloppe de nombreux jeux vidéo pour téléphones cellulaires.

antidote-iphone-L-1Au Québec, plusieurs compagnies profitent déjà de cette «ruée vers l’app», notamment l’éditeur Druide informatique, qui lançait l’année dernière l’application Antidote pour iPhone, un outil qui permet de consulter sur son téléphone les dictionnaires et guides linguistiques de la compagnie.

«Ç’a été un vrai succès», raconte le pdg de l’entreprise, André d’Orsonnens. Pas moins de 20 000 exemplaires (à 20 $ pièce) d’Antidote ont trouvé preneur dans les six mois suivant son lancement. Pas mal pour une application dont la mise au point a demandé peu de ressources.

«Il faut dire que nous développons déjà nos logiciels pour Apple, qui utilise le même langage de programmation pour ses Mac que pour le iPhone, alors adapter Antidote pour en faire une version mobile a été simple, confie André d’Orsonnens. S’il avait fallu partir à zéro, ça aurait été plus complexe.»

Selon lui, de nombreux investissements ont été consentis dans la Belle Province ces derniers temps pour développer des applications mobiles, et les Québécois peuvent s’attendre à avoir de plus en plus d’applications made in Québec à leur disposition.

D’après André Lauzon, le travail des déve­loppeurs pourrait toutefois se corser au cours des prochaines années. Pour le moment, l’hégémonie d’Apple facilite la tâche, puisque la plupart des applications sont conçues pour fonctionner uniquement avec la technologie de la multinationale américaine. Mais au fur et à mesure que ses concurrents gagneront du terrain, les développeurs devront concevoir des produits compatibles avec plusieurs plateformes. Par exemple, EA Mobile, qui développe des jeux pour les téléphones en tous genres, teste régulièrement ses nouveaux logiciels sur plus de 450 téléphones différents.

«Il faudra attendre que les autres plate­formes comme celle de Palm décollent pour voir comment l’industrie se transformera, estime André Lauzon. Mais le marché ne restera pas uniquement chez Apple. Après tout, 30 millions de iPhone vendus c’est beaucoup, mais c’est peu si on compare aux centaines de millions de téléphones cellulaires en circulation dans le monde.»

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Contrairement aux logiciels pour ordinateurs, dont la conception nécessite beaucoup de temps et d’argent, les applications sont souvent assez simples pour que les programmeurs indépendants s’y frottent.

Ainsi, au printemps dernier, Olivier Hill, un jeune programmeur de Laval, a développé en quelques semaines AMT Mobile, une application pour iPhone qui donne accès aux horaires de l’Agence métropolitaine de transport.

«Une application semblable existait pour les autobus et le métro de Montréal, mais j’avais besoin d’une application pour les trains de banlieue. Puisque j’avais un peu de temps entre deux contrats, j’ai décidé d’apprendre à programmer pour le iPhone et à développer l’app moi-même», explique-t-il.

Son logiciel a été accepté par Apple (la compagnie en refuse régulièrement pour une kyrielle de raisons). «La seule chose que je pourrais leur reprocher, c’est un manque de communication», explique-t-il en racontant qu’il a reçu un courriel d’approbation quelques heures à peine avant la mise en ligne de son application. Ce qui aurait été problématique s’il avait voulu lancer une campagne de publicité.

Mais ce n’est pas le cas et ses objectifs sont particulièrement modestes : «Rembourser les frais de 99 $ que j’ai dû payer à Apple pour m’enregistrer comme programmeur et payer l’hébergement de mon application sur Internet qui coûte quelques dollars par mois.»

Comme quoi l’App Store a déclenché une ruée vers l’or et les pépites n’ont pas toutes la même taille!


Centre d’achat

Apple domine pour l’instant le marché des applications, mais ses concurrents ouvrent eux aussi des boutiques virtuelles pour les amateurs de Tetris et de Facebook Mobile. Visite guidée.

App Store (iPhone OS) : Cette boutique particulièrement simple enregistre les numéros de carte de crédit des utilisateurs, qui n’ont par la suite qu’à entrer leur mot de passe pour télécharger les applications gratuites ou payantes, compatibles avec le iPhone et le iPod Touch.

Android Market (Android) : Boutique la mieux fournie après celle d’Apple, l’Android Market regroupe les apps compatibles avec Android, le système d’exploitation développé par Google (utilisé par les téléphones HTC Dream et HTC Magic).

App Catalog (webOS)
: La boutique du nouveau Palm Pre est encore plutôt dégarnie, mais ce n’est qu’une question de temps avant qu’elle rattrape l’App Store, promet la compagnie américaine.

App Center (BlackBerry OS) : Lancée en avril dernier, la réponse de la compagnie canadienne Research in Motion à Apple est un magasin sobre, où les applications payantes affichent un prix minimum de 2,99 $.

Marketplace (Windows Mobile) : Les propriétaires d’un téléphone qui utilise le système d’exploitation de Microsoft sont les derniers en lice à pouvoir télécharger leurs applications dans une boutique.

Ovi Store (Symbian et Maemo) : Le magasin d’applications de Nokia (le plus grand fabricant mondial de téléphones cellulaires) a été lancé l’été dernier en toute discrétion, mais ce dernier devrait gagner en importance au cours des prochains mois alors qu’il sera finalement inclus sur les nouveaux appareils de la compagnie.


Tout le monde en parle

Quelques-unes des nombreuses applications qui ont défrayé les man­chettes, pour les bonnes mais surtout les mauvaises raisons, depuis l’ouverture de l’App Store.

BabyShaker : Dans ce… jeu (?), l’usager secoue son iPhone afin de tuer un bébé pleurnichard. Apple a banni l’application deux jours après son lancement, au printemps dernier, ce qui n’explique pas comment elle a pu être acceptée en premier lieu.

Bixi Mobile : Logiciel créé au printemps dernier par un programmeur indépendant qui permettait aux Montréalais de repérer la station de vélo Bixi la plus près grâce au GPS du iPhone. La STM n’a pas apprécié l’usage de sa marque sans son accord, et l’application a été retirée. Depuis, deux nouvelles App également crées par des développeurs indépendants, Bixou et BixMe, ont pris la relève tout en prenant soin d’éviter d’employer le mot Bixi.

I am rich : À 999,99 $, l’unique «utilité» de ce «logiciel» était d’étaler sa richesse en affichant une pierre précieuse sur l’écran du iPhone. Huit personnes l’ont acheté avant qu’Apple ne la retire de sa boutique. On attend toujours l’application «I am un peu innocent».

iBeer : Avec cette application, le iPhone prend l’apparence d’un bock de bière. En penchant l’appareil, le «verre» se vide comme si on le buvait. L’une des deux seules applications payantes qui ne sont pas des jeux parmi les 20 plus populaires (l’autre est un logiciel de pets). Rafraîchissant.

iFart : Son créateur a empoché des milliers de dollars en vendant cette application qui émet des bruits de pets, mais des dizaines de possibilités gratuites s’offrent maintenant aux usagers en mal de gags faciles. Élégant.

(article paru dans le Magazine Jobboom, Novembre 2009)